Lorsque l'on connait un peu Katie, on n'est plus véritablement surpris de son énergie, de son sourire ou de son regard pétillant. Aussi, quand on la connait un peu et que l'on remarque qu'elle a les yeux rougis et l'oeil éteint, on s'inquiète.

Ce jour là, Katie était entrée dans l'établissement sans faire de bruit, elle n'avait pas lancé à la cantonade son rituel "Bonsoir tout le monde !", elle avait simplement été posé ses effets personnels à son casier avant de nouer son tablier autour de sa taille gracile.

Passant devant le miroir, elle avait tenté un sourire, grimaçant au résultat qui n'avait déjà rien de convaincant, ravalant péniblement de nouvelles larmes. Après plus de dix ans, sa relation connaissait ce jour sa fin. Elle n'aurait pas son "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.

Plusieurs semaines étaient passées depuis ce soir où Rick avait sauvé Katie d’une attaque dans une ruelle à proximité de l’établissement. Depuis, le directeur avait soigneusement évité la jeune serveuse qui avait reprit le travail avec son efficacité et son enjouement habituel.

Ce jour-là, le militaire arriva au milieu de la soirée, vêtus de ses vêtements sombres habituels. Les lumières tamisées du Molly’s Beer venait d’être allumées, et si son apparition quasi fantomatique fit tourner quelques têtes, on oublia bientôt la gueule cassé pour revenir à ses verres. Rick s’approcha du bar, salua quelques filles qui inclinèrent la tête tout en continuant le service, tandis qu’il tendait les doigts pour commander son whisky habituel. Ses yeux scrutèrent calmement la salle avant de tomber bientôt sur l’éclat de la peau de velours, les fossettes habituelles particulièrement fausses ce soir. Il se demanda pourquoi d’ailleurs. Jamais il n’avait songé au mimétisme de la bonne humeur de Katie, elle qui dégageait cette joie et cette exubérance naturellement. Le soldat ne dit rien, se contentant de lui tourner le dos pour retourner à son verre. A quoi bon s’en inquiéter ? Elle n’était rien pour lui après tout – du moins il tentait de s’en convaincre depuis plus jours.

Pourtant, lorsqu’il regagna son bureau – et accessoirement appartement –, il ne put s’empêcher de lui jeter un dernier regard. Que s’était-il passé ? Pensif, il la fit bientôt appeler pour mettre les choses au clair. C’était sans doute totalement indiscret et déplacé, mais il ferait passer ça pour une faiblesse au travail si jamais elle remarquait quoique ce soit.

Sourire, dire bonjour, prendre les commandes, les apporter, remercier, souhaiter une bonne soirée. Katie n'avait jamais vu son travail comme une pièce de théâtre avant ce soir là. Personne n'avait rien réussi à lui arracher, pas la moindre information. Elle tenait son rôle avec autant d'enthousiasme que la vieille pendule mettait à annoncer les seconde passantes : lourdement.

Quand on lui informa que le patron la demandait dans son bureau, elle tenta de s'arranger un peu, prenant un verre de whisky pour lui, elle prit une profonde inspiration avant de frapper à sa porte, entrant quand il l'y autorisa.

Dans un premier temps, elle commença par vérifier qu'aucune arme ne trônait sur le bureau, s'avançant alors doucement pour lui porter son verre, le posa sur le bureau et ramassa celui qui s'y trouvaient vide.

-Vous avez demandez à me voir ?

Elle tentait de paraître aussi distante que possible pour cacher sa détresse.

Ses yeux la scrutèrent, tentant de repérer la moindre de faiblesses dans sa démarche, ses regards. Cherchant un appel. Pourtant elle dissimulait comme on peut s’attendre d’une femme : avec une étonnante véracité, mais pas assez pour tromper Rick. Chaque fibre de son corps sentait sa détresse, sa peur de rester enfermer avec lui dans cette pièce sombre où aucune touche féminine n’avait apposé sa marque. Il prit le verre en la remerciant, laissant tomber son regard sur son poignet féminin, la courbe délicate de son visage qui le privait de ses sourires et de sa spontanéité.

« En effet. »

Le silence flotta pendant quelques secondes, planant comme une menace tandis que Rick cherchait les bons mots. Ceux qui ne l’effraieraient pas en quelques secondes à peine de conversation.

« Vous avez perdu votre bonne humeur, j’espère que les clients ne s’en rendront pas aussi rapidement compte que moi. »

Il tapota le bois de son bureau en l’observant, guettant une réaction dans son regard, sa posture, qui pourrait la trahir.

« Qu’est-ce qu’il se passe exactement ? »

Katie avait été bien confuse en comprenant qu'il avait vu clair dans son manège, baissa le menton à la façon d'un enfant prit en flagrant délit.

-Oh je suis désolée... Désolée monsieur... Je fais de mon mieux vous savez...

Elle était ridicule, et encore une fois si spontanée, elle se remettait à pleurer sans parvenir à s'en empêcher, pour elle, cette rupture était un choc, elle ne savait pas où elle pourrait bien aller dormir... Cette rupture si elle était la fin de son conte de fée avait bien d'autres conséquences qu'elle n'avait cessait de réaliser au fur et à mesure de la journée...

-Pardon... Nous nous sommes séparés... Avec mon compagnon...

Elle savait ce qu'il allait dire et ce qu'il en pensait, elle était aussi émotive qu'une collégienne sauf qu'aucune amourette de collégienne ne durait plus de dix ans. Aucune n'impliquait de ne plus avoir de logement ou de vêtements...

Rick ne comprit d’abord pas ces larmes, désemparé face à cette soudaine expression de sentiment. Et si le visage du soldat s’était voulu fermer, il n’avait pu réprimer ce soudain éclat dans son regard, cette volonté de se relever pour la prendre contre lui et lui dire que tout irait bien. Il sentit ses doigts se refermer plus fermement sur le verre de whisky.

« Oh… »

Il n’avait rien trouvé de plus éloquent à dire, n’étant guère un homme de paroles. Ses actions avaient toujours compté plus que ses mots, même si cette fois il ne savait que faire pour que cela soit plus vivable.

« Vous m’en voyez désolé. Je peux faire quelque chose ? »

Comme elle l’avait fait ce soir là pour lui, lorsqu’il avait failli perdre les pédales. Lorsque sa patience avait été mise à rude épreuve. Lorsqu’il avait failli se perdre en lui-même pour ne revenir que lorsque son corps aurait été à bout. Alors il se redressa, chercha des mouchoirs pour lui en donner un.

« Allons, ne pleurez pas. »

Katie n'en avait parlé à personne, pas même à sa soeur ou à sa mère et partager son fardeau avait déjà un peu apaisé ses tourments. Elle se mordit la langue, pouvait-elle vraiment se confier à son patron ? Si il apprenait sa situation il pouvait très bien la renvoyer... Pourtant, malgré son air glacial et inquiétant, il y avait dans sa haute stature quelque chose de rassurant, comme si il avait la solution à tout ses problèmes.

Mais pourtant non, il ne pourrait sans doute rien faire... Elle accepta son mouchoir et tenta de sécher ses larmes avec, se mouchant finalement, totalement abattue...

-Non... Vous ne pouvez rien faire... Rien... Je n'ai plus ni de logement ni d'économie... Ni de vêtements ni quoi que ce soit... J'ai tout perdu à trop longtemps y croire... Comme si un homme beau comme lui pouvait être autre chose qu'un connard...

Elle se mordit la langue avant de se confondre en excuses :

-Pardon... J'ai été trop loin... Je ne voulais pas... Je ne pensais pas...